Chez les anti-Assad, c'est la panique. Voici que le ministre saoudien des AE se rend à l'improviste à Bagdad : une première depuis 2003. Un hasard? Rien n'est moins sûr : la visite-surprise d'Adel al-Jubeir a eu lieu au lendemain d'un raid aérien de l'aviation irakienne contre les positions de Daech sur le territoire syrien. Pour des experts, les coopérations militaires et sécuritaires Bagdad/Damas viennent d'entrer dans une nouvelle phase.
Le décret du Premier ministre Al-Abadi qui a autorisé les frappes contre les positions de Daech en Syrie a ouvert un nouveau chapitre dans la lutte contre le terrorisme : en effet, à la lumière d'une telle coopération, l'affaire " Daech" pourrait être classée beaucoup plus vite que prévu. Les semaines à venir seront donc riches en péripéties et Daech devra s'attendre à recevoir " des coups de Jarnac" non seulement en Irak mais aussi en Syrie. Le commandement militaire des forces irakiennes ne nie pas l'efficacité des frappes anti Daech en Syrie sur le renforcement de la lutte anti-terroriste en Irak.
Sabah al-Noman, porte-parole des unités de lutte contre le terrorisme a confié au journaliste de Fars " la difficulté que connaissent les forces irakiennes à établir la sécurité sur les frontières communes" : " nos frontières sont perméables au trafic d'armes et de terroristes et des opérations sur le sol syrien revêtent une grande importance pour notre victoire finale" . Pour le commandant irakien, les raids aériens irakiens "devront se poursuivre en Syrie."
Même son de cloche du côté des forces de mobilisation populaire, les Hachd al-Chaabi pour qui les raids aériens de vendredi ont fait franchir "un nouveau palier " dans les coopérations militaires et sécuritaires entre Damas et Bagdad. Youssef al-Kalabi évoque les frappes contre les repaires de Daech à " Abou Kamal" qui " marquent une extension des coopérations militaires et sécuritaires syro-irakiennes."
" C'est désormais l'état-major interarmé irakien qui donnera l'ordre de frappe après avoir consulté la partie syrienne", ajoute-t-il.
Saeed al-Jiyachi, expert en sécurité, estime de son côté que la coordination syro-irakienne est un " événement majeur ". Damas et Bagdad ont des objectifs militaires communs en termes sécuritaires et militaires. Les deux États luttent pour ramener l'ordre et la sécurité dans leurs villes et villages. La bataille pour la libération de Mossoul a resserré l'étau autour de Daech qui a déplacé son centre de gravité en Syrie et c'est justement ce fait qui a convaincu Damas d'autoriser des frappes contre les terroristes.
En réalité, les raids de vendredi de l'armée irakienne en Syrie ont renforcé l'émergence du front uni qui a pris corps au Moyen-Orient et qui implique de près la Syrie, l'Iran, le Hezbollah, et l'Irak; pays qui se font aider par la Russie. En perspective, il y aura sans doute aussi le Yémen, l’Égypte voire l'Oman; ce qui ne va pas sans susciter de vives inquiétudes dans le camp adverse.
C'est justement dans ce contexte que le chef de la Diplomatie saoudienne a été dépêché en Irak pour une visite qui a surpris plus d'un analyste. Nul n'a cru voir à travers ce geste le début d’un changement de cap saoudien dans ses politiques régionales. Mais Jubeir a-t-il vraiment cherché à faire office de messager de paix, alors que Daech se trouve en agonie en Irak et que l'armée irakienne et surtout le Hezbollah d'Irak sont à deux pas de vaincre l'ennemi avant de se rendre ensuite en Syrie pour aider l'armée syrienne dans sa lutte contre le terrorisme ?
La visite de Jubeir a eu lieu sur fond de libération totale de l'est de Mossoul tandis que la partie occidentale de la ville est le théâtre de fulgurantes avancées des Hachd al-Chaabi. L’escale irakienne de Jubeir devrait donc s’interpréter sous cet angle : le diplomate a voulu négocier un possible retour de l’Irak dans le camp américain. Sur des pattes de colombe, Jubeir aurait tenté sournoisement de convaincre les Irakiens de « lâcher » l’axe de la Résistance et de se tourner vers Riyad et Washington. D’ailleurs, il y a là un impératif quasi vital pour une Arabie saoudite qui a déjà perdu l’Égypte et qui craint de surcroît un rapprochement du Caire avec Téhéran.
Jassem Mohamad, député irakien et membre de la fraction « État de droit » évoque la « promesse d’aide de 500 millions de dollars de Jubeir faite à Al-Abadi » qui se réaliserait si ce dernier quittait pour de bon le camp de la Résistance. Cette faramineuse somme devrait, aurait dit Jubeir, servir à construire les régions sunnites en Irak, les mêmes que Daech a pris soin, grâce aux pétrodollars saoudiens, de réduire en un champ de ruines. Cercle vicieux, dit-on. Jubeir aurait aussi promis de livrer à Bagdad des « renseignements sensibles » sur les lieux où se cachent les chefs terroristes de Daech, aveu on ne peut plus clair des liens existant entre Riyad et les groupes takfiristes. La réalité est que l’Arabie de Salmane se prépare à l’ère post-Daech. L’échiquier régional n’accorderait plus aucune place de choix à un pays qui a tout fait pour désintégrer les États-nations du Moyen-Orient, quitte à servir les intérêts des puissances.
Aussi, faut-il éviter des excès d’optimisme…à Bagdad, Jubeir a été moins un messager de paix qu’un faucon piégé en quête d’échappatoire…